« Le jour où vous avez décidé d’être artistes, ou de faire un métier artistique. Vous avez opté pour l’action, pour le faire, vous avez sauté de l’autre côté de la barricade. Vous avez résolu de ne pas être passifs, ni indifférents, de risquer votre jeunesse, c’est à dire le meilleur de vous-mêmes. » Quand j’ai lu ce texte de Luciano Fabro, Leçon inaugurale, Académie Brera, Milan, Novembre 1983, à l’école des Beaux Arts de Marseille en 2001, j’ai compris que je voulais être artiste.
« Le premier moment, c’est le regard, les différentes façons de regarder les choses.
Ce regard précisément tant à amener les choses à correspondre à l’attente de nos sens.
Le regard du comment faire est précis.
Quelle que soit la chose sur laquelle il s’appuie, il la rend définitive, il la pénètre.
Ce sur quoi ce regard pointe, que ce soit chose banale ou objet précieux,
il le traite avec le même soin, il le décompose et il le recompose.


Le comment faire s’accorde des pauses : les moments de réflexion,
les moments d’attente patiente, mais le regard reste toujours attentif,
ignorant encore les éléments qui pourront être importants, ou secondaires.
Celui qui fait ne craint pas ce qui est advenu ; lui, il est en train d’advenir.
Bien sûr, celui qui fait court toujours des risques : il peut faire mal, il peut se faire mal.
Alors, il sait qu’il lui faut être attentif, il s’entoure de précautions,
mais cela ne veut pas dire qu’il se laisse pour autant intimider,
parce qu’il avance décidé. Rien ni personne ne l’arrête.
Peuvent changer, son projet, les instruments choisis, les circonstances,
mais il fera, et il fera bien. Celui qui fait est riche d’imagination, d’intelligence,
de vitalité, riche de capacité d’adaptation, de patience,
de prestesse, et surtout de résolution déterminée.
Celui qui veut faire se met immédiatement en marche.
Pour commencer, il peut partir de n’importe quoi.
Tout point de départ est indifférent, ce qui qualifie le faire,
c’est la façon dont on le met en œuvre.
Donc celui qui pense au comment faire doit en premier lieu regarder,
et il lui faut apprendre à regarder dans la perspective du comment faire.
Une fois l’objet regardé dans ce but précis, une fois acquise la certitude
de l’avoir exactement regardé, notre ami se met à faire.
Bien sûr je ne veux pas dire qu’il se met à œuvrer au hasard,
mais je ne prétends pas non plus qu’il se mette à faire
en sachant exactement ce qu’il fera.
D’une façon ou d’une autre, ces résultats,
le produit de son action, ont des caractéristiques :
caractéristiques techniques, caractéristiques qui relèvent de la culture,
caractéristiques dues au hasard,
caractéristiques qu’il ignore, apparences ou données nouvelles,
auxquelles il n’est point préparé.
Ce qu’il souhaite, c’est de ne pas perdre de temps à se torturer l’esprit
sur des problèmes que d’autres personnes,
ailleurs peut-être, ont déjà résolus.
Mais vu sons sens des responsabilités à l’égard de ce qu’il entreprend,
il ne met rien en application, il passe tout au crible de son expérience.
Il analyse les problèmes techniques, il évalue si la technique
qu’il s’était proposé d’appliquer est celle qui convient pour obtenir les résultats souhaités.
Il considère si le niveau technique où il se trouve est apte,
dans ce cas précis, à obtenir de bons résultats.
Gardons à l’esprit qu’il n’est pas question ici d’apprendre comment faire du tricot,
ou comment accrocher des lampadaires.
La culture est l’élément fondateur de notre faire.
Une question à se poser : ce que je suis en train de faire sert-il ou non à ce que je fais ?
Ou bien, est-ce-que je le fais pour quelque chose d’autre ?
Si ce que je fais sert vraiment, à ce que je fais,
la question même permet de donner tout de suite une réponse
sur le sens de ce qu’il faut faire pour la suite.
Chaque fois que l’on fait quelque chose, c’est comme casser la coquille d’un œuf,
le contenu se répand tout autour. Alors le problème se décompose …
Il y a l’usage que l’on peut en faire, nous ou d’autres personnes ;
il y a aussi les conséquences ; il y a des réactions provoquées ; il y a les attentes.
Le comment faire, c’est l’imprévu, cet élément qui accompagne toute action.
Même si une chose est faite selon les règles de l’art,
avec toute l’attention possible, quand elle est copiée, elle n’est pas identique.
Cet aspect, surtout dans notre travail, doit être traité avec une attention extrême, avec un infini respect.
Même si c’est le fruit d’une erreur, le résultat d’une distraction,
quand bien même ce serait le fruit du hasard, dans cette phase de l’analyse du travail,
il faut le considérer comme un fait positif,
qui peut toujours nous révéler une règle secrète des choses,
une règle secrète du travail, l’espace de possibilités que notre intelligence,
notre culture, notre technique ne nous avaient pas encore révélées.
Bien sûr, et c’est fondamental, notre capacité à lire l’imprévisible
est déterminée par nos connaissances techniques,
par notre intelligence, par notre culture, par notre capacité d’action. »
« Dans cette première leçon sur le comment faire, nous avons affronté le premier moment de ce faire.
C’est une phase active qui résulte de nos capacités,
de notre volonté, de tant de connaissances antérieures,
peut-être même tout à fait indépendantes de notre travail.
La seconde phase, nourrie de réflexions celle-ci, ne dépend que de nous,
et elle a toutes nos limites. »