02. Galerie Denise René, la fermeture ?

« Une galerie n’est pas seulement une conception esthétique,
mais un mode de fonctionnement.
Denise René a su faire venir des collectionneurs, être présente là où il fallait être. »
Jean Paul Ameline

L’espace de la galerie est indissociable de l’activité et du combat que nous a laissé Denise René.
Elle a une âme comme espace physique, une entité comme force, une histoire à son niveau de prestige.
Est-ce que la question d’un nouvel espace se pose ?   Oui et non.

Livre Denise René l'intrépide

L’attachement au lieu, à l’histoire de cette galerie, toutes ces découvertes merveilleuses, mon cheminement pour trouver une place dans ce monde de l’art, tout cela m’a réveillé. C’était viscéral, je voulais comprendre, apprendre et découvrir.  En mai 2022, j’ai essayé d’interpeller le directeur de la galerie Denise René parce que j’avais le sentiment profond et irraisonné d’un état des lieux négatifs qui enfermait la dynamique de la galerie dans une routine ennuyeuse et qu’il fallait d’urgence faire des changements. Voici les mots que j’ai osé écrire avec la maladresse d’un apprenti : « Ne prenez pas mal ce que je vais oser écrire. S’il vous plaît accepter mes critiques et mes remarques, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Je cherche souvent à me remettre en question et donc je pense que les autres doivent aussi le faire pour évoluer. La critique constructive est bonne pour la santé, elle est salutaire et elle fait progresser. Et je suis persuadée que ce sont les artistes aux propositions qui peuvent aider à casser la routine d’une galerie. D’ailleurs une galerie doit être un lieu d’échanges d’idées pour inventer. Où sont vos artistes ? Sont-ils tous dans les ateliers en train de créer, chacun de son côté individuellement ?

Elias Crespin
Emanuela Fiorelli
Anne Blanchet
Julio Le Parc
Hans Kooi
Pe Lang

Plus que jamais, une galerie doit parler à tous et ne pas s’enfermer dans un entre-soi satisfait.  La galerie Denise René a une ligne de conduite, une rigueur, une cohérence esthétique, intellectuelle et amicale dans la programmation. Elle a une histoire magnifique, une âme, une reconnaissance prestigieuse. Elle est fréquentée par un public déjà acquis à sa cause. Votre rôle est de créer des ponts entre chaque artiste de la galerie pour renforcer, chacun. Tout le monde doit se réunir et créer une unité de groupe comme le GRAV, un élan nouveau pour apporter de l’innovation dans l’art «ensemble» et la manière de représenter la galerie sous un nouveau jour. Comprenez-vous que c’est un partage commun, que si votre galerie a cette histoire magnifique, cette âme, cette reconnaissance … vous avez besoin de l’aide de tous vos artistes. La galerie doit continuer d’exister et elle doit redevenir une galerie de combat. Il faut renversé la tendance de la manière de présenter les tableaux. Il faut absolument innover, créer des chocs visuels. Donner envie à une personne nada, voir à des enfants de vouloir entrer dans votre galerie. Elle doit égailler à nouveau et en même temps faire choc, donc surprendre le spectateur pas seulement par l’œuvre de l’artiste mais aussi par l’effet de surprise et la manière de se promener dans l’espace architectural du lieu, de son histoire même si la galerie est petite. Elias Crespin a bien expliqué cette problématique, dans une conférence au Louvre, où  il a cherché l’espace approprié pour placer son œuvre : 

«Je cherchais un point de vue très particulier, différent, spatial, architectural pour mon œuvre. Mon art est une œuvre qui joue avec l’espace, qui est dans l’espace, qui habite les volumes où elle se place.» Elias Crespin

Finalement dans une entreprise, on part toujours du principe que chaque maillon de la chaîne a son importance car c’est le cas, il participe à la performance globale, à la résistance de l’ensemble.  Même si nous savons que le but du jeu, c’est de vendre et donc trouver de nouveaux publics. Une galerie doit parler à tous et ne pas s’enfermer dans un entre-soi satisfait. D’ailleurs j’étais présente au vernissage du jeudi 13 janvier 2022, et à ce moment là j’ai été déçu de découvrir que la plupart des visiteurs n’étaient là que par snobisme en minorité, représentation d’un jeu de fausseté, de gens intéréssés par leurs personnes mais pas forcément par les œuvres et tout le travail de recherche des grands artistes. Il n’y avait pas d’esprit de fête non plus, de rencontre d’artistes en pleine ébullition, pour réfléchir à de nouvelles idées à venir. Pourquoi la convivialité et la fête n’est plus là ? Pourquoi sommes-nous seulement dans la représentation ?

Une galerie comme la votre a une âme. Il ne faut pas oublier l’histoire et la manière dont Denise René et la bande de copains se réunissaient tous les samedis pour festoyer à la bonne franquette en rêvant aux réussites futures. On n’a pas besoin de coupe de champagne, mais de sirop à la grenadine avec des gourmandises, que chaque artiste pourrait apporter afin d’ouvrir le partage. C’est ça qu’il faut remettre en place. J’en rêve de festiner au milieu d’artistes, parler pendant des heures d’idées révolutionnaires. On sait et Michel Seuphor l’a affirmé que l’art abstrait meurt tous les quatre ans et qu’il renaît toujours de ces cendres. Il disait que « les nouveaux artistes surgissent qui trouvent des techniques nouvelles, un langage nouveau, une intonation nouvelle qui en fait «autre chose», ça rebondit tout le temps! »

L’art contemporain, c’est l’art de se faire remarquer !

Regarder votre affichage ci-dessus à Art-Paris en Avril 2022, puis observer la seconde ligne de l’affichage de concurrents. La question n’est pas le sujet mais l’encadrement, la mise en scène des œuvres fixes accrochées sur le mur, il faut toujours créer un choc visuel, pour sortir du lot, une émotion vive pour surprendre le spectateur. 
On apporte la nouveauté, toujours de l’imprévu !

« Des murs de protection pour protéger l’environnement intérieur de la décohérence,
un environnement qui existe dans un semi-état entre les deux concepts de l’existence et de l’inexistence,
solidifier la réalité, les pensées, le mouvement et le temps. J’ai dépassé les états mentaux qui restreignent l’esprit. »
Pe Lang

Pe Lang et Elias Crespin nous surprennent avec leurs œuvres. Aussi la disposition est importante, elle doit être un décor, un mouvement, une précision. Yaacov Agam explique dans cette vidéo ci-dessous la quatrième dimension, que dans l’art, les expositions par exemple au Centre Pompidou mais j’estime que c’est la même chose dans une galerie ou un salon. Il dit qu’il n’y a pas d’imprévu, il n’y a que des œuvres fixes et elles appartiennent au passé. Qu’est ce qui nous intéresse le plus dans l’art actuel ? Qu’est ce qui attire le public ?  L’effet de surprise !

Un autre exemple dans l’architecture, avec le bâtiment la Bourse de commerce est aujourd’hui revivifiée par le geste architectural contemporain de Tadao Ando. L’architecte japonais crée les conditions d’un dialogue entre l’architecture et son contexte, entre le patrimoine et la création contemporaine, entre le passé et le présent, entre la collection et le visiteur. «Il s’agissait de régénérer le monument historique : honorer la mémoire de la ville inscrite dans ses murs, et à l’intérieur, placer une autre structure ». Là, l’architecte crée l’effet de surprise !

Vous défendez l’abstraction géométrique. Oui chaque œuvre a son histoire, son invention, un message a faire passer mais il faut toujours aller plus loin en terme de stratégie visuelle pour vendre. Il faut faire évoluer la présentation des anciennes œuvres peintes en y ajoutant un ingrédient de plus à la recette de vos programmations.

Le renversement des mentalités auquel on a assisté ces dernières années rend d’autant plus pertinente la prise de conscience que tout bouge et que nous devons être dans le mouvement. Et pas seulement dans un mouvement numérique. Lors d’un entretien avec Denise René sur le travaille de Geneviève Claisse elle disait : «J’ai toujours intégré dans mes expositions de grande envergure de jeunes artistes aux côtés de maîtres de plusieurs générations qui les avaient précédés. J’ai toujours agi de cette façon, c’était un choix de tendance et une discipline. Je laisse toujours aux artistes le droit à la parole quand il s’agit de faire des choix et des présentations. Les choix sont toujours concertés.»

Auguste Herbin
Geneviève Claisse

« Mon vocabulaire s’ouvre à la recherche du mouvement,
et des espaces multiples animant le plan de la surface peinte. »
Geneviève Claisse

Un autre exemple d’une manière plus théatrâle pour créer l’effet de surprise, les œuvres d’Annette Messager et de Christian Boltanski où l’œuvre d’art joue avec la mise en scène pour servir aussi bien la réminiscence que l’hommage et l’interpellation pour créer un choc, une ouverture de conscience. Le galeriste peut en faire tout autant, par une prise de risque intentionnelle, d’apporter quelque chose de différent, une touche nouvelle peut-être plus pop comme changer la couleur d’un encadrement ou repeindre un mur en bleu pour faire ressortir un tableau de Vasarely. Ne pas avoir peur de dénoter par une prise de risque plus moderne pour mettre en valeur des œuvres anciennes. Et puis casser un système stable, c’est bien, ça apporte de la fraîcheur. La densité et la superposition créent aussi des tableaux mouvementées, on englobe une grande variété de techniques et de styles qui se chevauchent et qui ramènent au thème de l’art cinétique. Il faut être efficace visuellement. Le galeriste Emmanuel Perrotin explique sur un magazine : «Sur un compte Instagram, quand vous scrollez rapidement, ce sont les œuvres pop que vous retenez. Il ajoute aussi : «Aujourd’hui, le snobisme est dépassé». Ce qui importe, c’est de faire des choses différentes.

Annette Messager
Christian Boltanski

Vers le renversement de l’idéal perfectionniste d’une mise en situation de respecter les codes de base d’un système. Il faut casser cette perspective et apporter de l’imprévu avec une stratégie d’émancipation comme le groupe GRAV. Ils ont renversé l’idéal de beauté et de perfection des avants gardes historiques en lui substituant l’improvisation, l’instabilité du jeu. Il faut aller à la rencontre du public à nouveau. Je suis persuadée que ce sont les artistes aux propositions qui peuvent aider à casser la routine d’une galerie. Je privilégierai une manifestation qui donnera une vision plus dynamique de la galerie, qui montrera que ce n’est pas une galerie historique figée et qu’il y un renouvellement avec des artistes très jeunes. Nous ne pouvons pas oublier que c’est une galerie de combat. »

© Estelle Bellin 2024

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