« Ma ténacité, ma fidélité aux tendances que je défends font que les fruits de mon travail ont mûri et que le public s’aperçoit que je ne me suis pas trompée. Bien-sûr, j’ai commis des erreurs, mais tant d’artistes avec qui j’ai commencé à travailler alors qu’ils étaient inconnus, comme Poliakoff, Vasarely, Dewasne, Jacobsen …sont aujourd’hui placés si haut dans l’estime des connaisseurs que cela suscite la confiance. Lorsque j’ai ouvert la galerie, un journaliste m’a demandé si le grand machin qui se trouvait en face ne faisait pas de l’ombre à une petite galerie comme la mienne. Je lui ai répondu que c’était peut-être la population de la piazza qui faisait écran entre le musée et nous, mais que l’existence de ce grand machin était le résultat de notre action, à nous, les galeries, qui en avions créé la nécessité. » Denise René
Aujourd’hui, il n’ y a personne qui a envie de créer une nouvelle nécessité. Tout se ressemble dans ce monde de l’art et tout est fade. On s’ennuie à mourir. Où est l’action de donner l’existence à un patrimoine si riche qui meurt au fil du temps ? Où sont les nouvelles inventions plus folles qui apporteront une nouvelle perception au spectateur dont le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue ? Inventer, fonder, produire, désirer, façonner, c’est-à-dire faire, être, ne pas oublier le passé et s’en servir pour demain. La filiation d’un savoir faire inégalé, la transmission d’une valeur de qualité et de prestige dans des liens familiaux.
Denise René a su réunir tous les critères pour faire de sa galerie l’une des plus importantes : une ligne indéfectible. On la retrouve dans les manuels d’histoire de l’art. On doit jouer de sa reconnaissance pour aller chercher de nouveaux investisseurs pour frapper plus fort. Il y a la trace de plusieurs orientations possibles. Réaffirmer peu à peu sa vitalité. Nous sommes aujourd’hui dans une forte montée en puissance de la création contemporaine, il faut mieux valoriser les œuvres. La Reévolution de la galerie doit changer sa présentation serrée – a succédé une vision nouvelle où les œuvres sont associées entre elles selon des affinités qui leur donnent sens et se trouvent insérées dans un espace qui semble fait pour elles. Avoir le talent de metteur en scène comme Vasarely. Grâce à Vasarely, l’espace de la galerie se fortifiait d’intentions, tissée par un esprit d’analyse que la discussion collective a effilé. Nous devons réunir les artistes, la bande de copains pour festoyer à la bonne franquette en construisant de nouvelles stratégies pour les réussites futures. Pour garder les meilleurs artistes, il faut créer une véritable entreprise avec plusieurs cordes à son arc. Comme ce que vous avez réussi à faire en collaborant avec d’autres. Nous devons trouver le point commun au sein d’une vacation entre l’art ancien et l’œuvre contemporaine, en abandonnant les traditions du passé. Il faut absolument enlever la poussière sur les vieux tableaux.
Le 2 mai 2023, j’ai envoyé un mail car je pressentais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, que c’était urgent. J’ai écrit ces mots mais j’étais en colère, je ne me sentais pas entendu :
Monsieur Denis Kilian,
La galerie Denise René meurt. Il faut en urgence changer d’approche.
La sensibilité, l’engagement du combat de Denise René, de son équipe, et des artistes, nous devons nous poser des questions, discuter pour trouver des solutions. Il y a encore des idées fortes à développer avec une pédagogie unique. Faisons des petites choses avec grandeur. Et avec presque rien on peut faire beaucoup de choses.
Le 15 septembre 2021, j’ouvrais la porte de la galerie Denise René. C’était l’émerveillement, un sentiment d’admiration mêlé de surprise. Il a suffit d’une discussion passionnante avec vous pour activer un processus artistique dans mon esprit. J’ai commencé par étudier les artistes de la galerie et de relever des signes extérieurs que personne ne voit vraiment. Aujourd’hui, je souhaite poursuivre le combat de Denise René, répandre son empreinte, en suivant respectueusement le travail des anciens, et apporter une nouvelle vision remarquable et innovante. Il faut retrouver l’énergie, la capacité de mener les idées virus, c’est le plus important. Si on vise l’ordinaire, ce n’est pas intéressant. J’ai pris le temps de développer une expertise en profondeur de tous les points qu’il faut revoir. La galerie Denise René a une âme, une valeur refuge et c’est un investissement qui permet de sécuriser tout un patrimoine artistique. Même si c’est la crise, elle reste un actif dont la valeur reste stable.
Pour enlever la poussière sur les vieux tableaux, vous avez besoin de l’intelligence collective, seul on va plus vite, ensemble on va plus loin, donc il faut réunir vos artistes talentueux qui ont encore de quoi surprendre. J’ai étudié le travail de Laurent Bolognini, Santiago Torres, ils peuvent encore créer l’effet de surprise. Rencontrons-nous !
Artiste passionnée, je ne cherche pas à vous vendre quelque chose. Je veux juste assurer la permanence de la diffusion de l’esprit de Denise René et assurer l’arrivée des renforts, c’est-à-dire assurer la place aux générations nouvelles. … Ignorez l’acompte, prenez une nouvelle décision !
Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer Monsieur, mes sincères salutations.
Estelle Bellin
Le 5 mai 2023, j’ai reçu un mail de l’assistante de la Galerie Denise René qui me répondait :
Madame,
Je vous réponds de la part de Denis Kilian.
Vous avez adressé au directeur de la galerie un message où vous expliquez avoir «développé une expertise en profondeur de tous les points qu’il faut revoir ». Après la fermeture de la rue Charlot, la galerie continue appuyée par des amis, des artistes et des conseils qui nous adressent des idées, proposent des actions pour perpétuer la diffusion de cette tendance. Ainsi si vous avez des éléments qui pourraient aider à cette nouvelle organisation, nous sommes preneurs. Vous pouvez nous adresser des textes par e-mail, nous regroupons les différents apports mais Monsieur Kilian ne reçoit personne dans cette période intense.
Sincères salutations,
Anne-Laure
« Je n’ai construit aucune théorie. J’ai seulement essayé de développer des yeux sensibles. »
Josef Albers
Après le mail de l’assistante, le galeriste a édité sur les réseaux sociaux, ce message : « La galerie Denise René a le plaisir de vous inviter au finissage de son espace rue charlot et de profiter ensemble des derniers jours de l’exposition hier | demain, le jeudi 15 juin. » J‘ai écrit ces mots-là :
Sans conteste, le fait d’emménager dans un nouvel espace plus prestigieux s’est accompagné de l’arrivée d’artistes beaucoup plus reconnus que ceux représentés jusqu’alors. L’espace émet un véritable signal à l’attention des collectionneurs car nous savons qu’il est de plus en plus difficile d’attirer en galerie les collectionneurs ou le public en général, même à l’occasion des vernissages. Il y a une étude qui dit que c’est en partie à cause de la hausse du nombre de lieux exposants de l’art contemporain. Ils proposent tous les mêmes activités et se concurrencent sur les ventes, même les foires se sont multipliées. C’est un état des lieux plutôt négatif, mais regardons plus loin.
Josef Albers disait « qu’un artiste avant d’avoir exploré le champ visuel, doit trouver les éléments clés : les lignes, la forme, la couleur et la texture. Il doit posséder la Nature. Il doit s’identifier à son rythme, par ses efforts. Il gagnera la maîtrise avec laquelle il pourra ensuite s’exprimer dans son propre langage. »Je me suis mise à chercher mon propre langage artistique en exploration du champ visuel qui ne peut se faire que les yeux ouverts. J’appréhende, à la manière de Anni et Josef Albers le langage de la couleur au moyen de la vue. Il me reste à former dans le langage du matériau pour que l’on touche du regard ou de la main l’œuvre. Je positionne ici la forme de la structure/sculpture :
« Je n’apprenais pas à peindre, mais à voir. » Josef Albers
Quand je vous ai rencontré la première fois, un ami vous a posé la question : «Pourquoi ne pas avoir exposé au Art Paris en septembre 2021 au Grand Palais éphémère ? Vous avez répondu par une autre question en nous disant d’aller voir l’exposition de Joseph et Anni Albers au Musée d’art moderne de Paris et que nous allions y trouver quelque chose de plus. J’ai compris qu’ils sont allés au delà de la question de la perception et de l’expérience de la couleur pour détacher la fonctionnalité de l’esthétique en élargissant l’ordinaire. Ils ont travaillé la théorie des nœuds à trois bras : l’imaginaire, le symbolique et le réel. Ce couple, était à contre courant pour l’époque et ils sont devenus des modèles. La constatation est là, la richesse des travaux des anciens artistes de la galerie nous ont laissé de belles recettes de cuisine. À nous de nous en servir à nouveau !
Continuité géométrique, un parallélisme entre les œuvres d’Aurélie Nemours et Santiago Torres :
« Dans le vide infini de l’espace, le temps se perd sans laisser de trace. Pas de jour, pas de nuit, seule l’éternité qui fuit. Un silence pesant, insondable, où règne un calme impénétrable. » Santiago Torres
Avoir une approche spatiale autre lecture possible entre l’expérience esthétique et l’expérience ordinaire, produire de nouvelles expériences de compositions/décompositions. Aurélie Nemours a travaillé sur la ligne et le vide, qui étaient les deux principes essentiels dans son art. Elle disait que « c’est par la réussite du plein et du vide que le tableau est arrêté. » Elle était intuitive et elle questionnait l’état du visible, tout comme sa dimension énergétique et spirituelle. Il faut redéfinir une règle du jeu et choisir des éléments de communication simples mais surtout à contresens de tout ce que font les autres galeries. La galerie doit redevenir une galerie de combat. Réaliser à nouveau un coup de maître et revenir à l’authentique, la qualité mais hors cadre, à contrecourant.
Axonométrie Estelle Bellin dans le prolongement de Victor Vasarely
Nous ne pouvons plus dire aux collectionneurs et aux spectateurs : «Nous faisons seulement de belles œuvres ou nous avons les plus belles collections anciennes des grands artistes comme Vasarely.» Vous devez changer la manière de vendre, focaliser l’attention des critiques parisiens ou autres, et entreprendre de nouvelles idées. Denise René était marginale et n’était pas conforme à la tradition française. Elle avait un libellé clair et définitif. Nous devons nous remettre aux goûts du jour, en faisant redécouvrir les racines de l’abstraction pour en faire de la tendance d’avenir.
« Je vous montre là, une sculpture qui a été exposée dans l’exposition le Mouvement en 1955. L’idée du cinétisme est de travailler l’interaction du visiteur et les œuvres. La particularité de la sculpture de Robert Jacobsen est son mouvement. Le spectateur organise l’œuvre dans l’espace, il devient le moteur d’une interaction, il actionne le changement. L’intérêt du cinétisme est d’organiser une nouvelle œuvre et donc d’ouvrir de multiples propositions. » Denis Kilian
« Moi, je travaille avec l’espace, je le fais bouger » Robert Jacobsen
Aujourd’hui, l’espace de la galerie est mort. Elle fait partie du passé. Non la galerie ne doit pas rouvrir à cause de la hausse du nombre de lieux exposants de l’art contemporain. Ils proposent tous les mêmes activités et se concurrencent sur les ventes, même les foires se sont multipliées. Denise René était marginale et n’était pas conforme à la tradition française. Elle avait un libellé clair et définitif. Elle suivait son intuition. Abandonner les anciens concepts au profit du nouveau. Prendre position en utilisant l’innovation pour développer des idées comme une expression de la rationalité instrumentale, c’est-à-dire comme un moyen pour atteindre un certain but, ensemble avec l’intelligence collective. Nous devons apporter une pointe de désordre dans cet art froid qu’est l’abstraction géométrique. N’oublions pas que l’art contemporain, c’est l’art de se faire remarquer !
© Estelle Bellin 2024