« Il a lutté, s’est débattu, a ri, chanté, aimé, rugi et, lors de toutes ces expériences, a gardé à l’esprit une chose simple plus essentielle que tout ce qu’il avait pensé jusqu’à présent : le rideau, le rideau. Laissez à tout prix le rideau levé. Car c’est le rideau qui le maintenait enveloppé dans l’obscurité. Et c’est l’obscurité qui garde prisonnière la lumière. La lumière, la transparence, la levée de tous les obstacles au savoir sont devenues son véritable but : être ouvert. Être éveillé, être disponible à ce qui se déroule vraiment, renoncer aux croyances erronées. »
Le 15 juin 2023, Denis Kilian, neveu et directeur de la galerie Denise René, annonçait baisser le rideau de la galerie rue Charlot à Paris, en s’exprimant oralement sur les réseaux sociaux : « Je n’ai pas l’habitude de vous parler dans ce format là, c’est quelque chose que je n’ai jamais pratiqué, mais aujourd’hui l’information est tellement importante que je dois absolument vous communiquer : Qu’est ce que l’on est en train de faire ? Comment se passe la galerie ? Et qu’est ce qu’elle va devenir ? Comme vous le savez, le propriétaire a vendu les murs de la galerie et nous sommes obligés de fermer le local de la rue Charlot. Le local que j’avais trouvé en 1992 et que Denise avait inauguré. Évidemment ce n’est pas si simple que ça, c’est beaucoup d’émotions. C’est aussi un rapport avec les artistes, j’ai tellement eu l’occasion de vivre avec eux depuis que je suis tout petit avec Denise. Vous imaginez que l’émotion est vraiment un peu trop forte. En même temps il faut se dire, c’est l’occasion de prendre un peu de recul, justement de ne pas vivre que sur l’émotion mais justement de prendre du recul, de réfléchir à : Quelle va être la nouvelle étape ? Quelle va être la prochaine étape ? »
En regardant cette vidéo, cela m’a fortement attristé. Il nous explique qu’il a fait tout ce qu’il a pu, que c’est difficile d’avoir peur de perdre son entreprise, et qu’il a perdu son moi. Le moi qui le définissait dans cette histoire de famille, de combat, de galerie, d’artistes pionniers, le positionnement d’un neveu, d’un homme seul qui avait survécu aux pires de toutes les confrontations artistiques, jouant entre l’équilibre et le déséquilibre complètement ouvert à l’interprétation d’un monde de l’art qui mange du poisson cru, bref un peuple de requins. Tout va si vite aujourd’hui, le mouvement est permanent et il n’est plus possible de fonctionner à l’ancienne. La force de son entreprise est l’entité, le nom Denise René et les recherches artistiques et théoriques des anciens artistes pionniers qui ont réussi à construire des fondations d’un édifice exceptionnel. C’était une révolution des partages avec des esprits inventifs et fous. Ils ont fait des choix audacieux, osé faire tomber le masque du monde en sortant de la zone de confort, levé le rideau sur des vérités d’un système bancal.
Et nous, les artistes vivants, qu’est ce que l’on fait aujourd’hui ? On ajoute d’autres briques à la construction de l’édifice dans la continuité et le respect des anciens , c’est positif mais construire des murs de travers, c’est négatif. Quel est l’intérêt de construire, déconstruire, reconstruire ?
Soto disait que « L’homme qui continue à voir l’univers en dehors de lui vit comme un spectateur. Mais nous ne sommes pas des spectateurs, nous sommes des participants ! Le pénétrable, c’est la démonstration de l’idée que j’ai de l’univers. Nous sommes des déchiffreurs des états sensibles de l’univers : parallèlement, l’homme de science déchiffre des états démontrables. C’est l’esthétique qui nous distingue du savant. Je n’ai pas peur de ce mot, même s’il est aujourd’hui galvaudé. Nous devons donner un déchiffrement esthétique, donc qualitatif de l’univers. L’art moderne ne peut pas être figuratif – non parce que nous refusons la figuration, mais parce que celle-ci s’imposait quand l’homme se croyait au centre du monde et qu’il était le témoin des phénomènes de l’univers. Nous qui savons que nous ne pouvons plus être des contemplatifs. » Ci-dessous des œuvres de Soto :
Il est intéressant d’avoir un autre angle d’attaque et de réfléchir en se posant des questions pertinentes et fondamentales. Se servir de l’intelligence collective pour lancer des flèches que nous porterons plus loin, car il est important d’avoir plusieurs cordes à son arc. Voici un travail numérique géométrique, pour expliquer la symbolique de l’arc, dont l’archétype est la puissance et la victoire :
« Les flèches directionnelles d’un grand projet permettront de choisir la direction d’un nouveau but principal avec un objectif stratégique, puis se poursuivront avec une stratégie organisationnelle qui créera un organigramme et des manuels d’exploitation définissant le travail effectué par les artistes d’aujourd’hui. » Estelle Bellin
Depuis que j’ai mis le pied dans cette galerie Denise René, j’ai eu une révélation comme si j’avais enfin trouvé ma famille d’artistes. Et c’est là que le rideau s’est levé. Le rideau entre leur monde et le mien. Mais surtout le rideau érigé à l’intérieur de moi-même qui me séparait d’une autre vie que je menais tranquillement sans me poser de questions. C’est à ce moment là que j’ai pris conscience avec une soudaineté me donnant le vertige, renversant mon cœur et les cœurs d’artistes dont je comprenais leurs activités et les problématiques. Ce fut l’apparition d’un but, d’un sens qui donne de la découverte à une nouvelle vie. Depuis je continue d’écrire et d’étudier tout cela sans relâche comme si mon instinct me dit que je connais des choses de ce monde là, de cette famille là, et dont ils ont besoin. Je sais que quelque chose m’attend en ces murs.
Où l’esprit est-il le plus sûr ?
Au commencement. J’avais besoin de trouver ma voie, ma famille d’artistes, une méthode, un concept, je me suis mise à chercher. Je suis tombée sur les premiers systèmes de Morellet qui a écrit : «Un système, c’est une sorte de règle du jeu très concise qui existe avant l’œuvre et détermine précisément son développement et donc son exécution. J’ai choisi ce terme parce qu’il pouvait désigner une attitude que j’aime beaucoup, celle des artistes qui ne s’identifient pas avec ce qu’ils font. Le système permet de diminuer le nombre de décisions subjectives et de laisser l’œuvre se faire elle-même pour ainsi dire devant le spectateur.» Etablir un système et commencer par la photographie dans l’expression plastique, est un autre axe de réflexion qui me permet de laisser l’œuvre se faire elle-même petit à petit. C’est comme l’élaboration d’une recette de cuisine, c’est un moyen d’expression, un moyen d’aimer, c’est une démarche de don authentique. Pour construire, on doit trouver les bons ingrédients et ensuite les laisser mijoter. J’ai commencé par étudier Victor Vasarely
Vasarely m’a appris l’importance de la composition, des couleurs, l’art d’organiser des éléments simples et abstraits. Que l’essentiel n’est pas le sujet, mais la composition, une rigueur de la ligne, du plan, de l’espace, et du mouvement. J’ai remarqué qu’en regardant une œuvre de Vasarely, on est troublé, on a une réaction physique. En observant ses œuvres à la Fondation Vasarely, mon regard était en permanence stimulé. En photographiant et en filmant les effets d’optique, mon cerveau comprenait les différents mécanismes.
Il y a les couleurs qui, lorsqu’elles sont côte à côte, se mettent à vibrer. Il y a la lumière, la transparence, le mouvement, les reflets, les jeux graphiques … Mon inspiration nait à ce moment là. Grâce à ma récolte visuelle, je me suis amusée à créer des photomontages à la manière de Joseph Albers. C’est une manière de saisir l’essentiel : les accords, les mélodies, les rythmes, tout ce que l’œuvre engendre comme aura. Et cela forme le point de départ d’une idée sur l’abstraction géométrique.
Il est vrai que je viens de nulle part, que je ne suis pas grand chose, un ovni peut-être, une facilitatrice d’idées, une conteuse ou une artiste combative, persévérante et passionnée par le combat défendu par Denise René et ses artistes pionniers. Je veux orchestrer la nouvelle impulsion d’un groupe d’artistes qui s’engagera à faire une révolution des partages. Il est important de se servir de l’intelligence collective, il est responsable de créer un environnement artistique favorable pour les artistes avec des conditions de travail idéales. Je souhaite rassembler et ouvrir le débat en créant des séances de facilitation à des discussions ouvertes et honnêtes pour construire une stratégie organisationnelle. En réunissant le groupe, je faciliterai la cohésion d’équipe qui aidera à clarifier les objectifs du passé, du présent et du futur, à organiser les nouvelles idées, à travailler en équipe pour s’entraider et pousser chacun à se repositionner dans l’art dans une configuration plus haute et grande, pour l’innovation et le remarquable dans l’art contemporain. C’est tous ensemble que nous pouvons générer des solutions créatives.
Vasarely a posé cette question : « Pourquoi ne pas imaginer des façades composées de fenêtres de différentes dimensions, grandes ou petites, en forme de losanges ou d’ellipses, de ronds coupés tangentiellement ? » ; alors je me suis mise à imaginer une continuité artistique :
C’est ça que j’ai regardé. Je me suis placée à distance, j’ai étudié, j’ai observé tout le monde, les artistes … tout ce qui est autour de la galerie Denise René. Je suis allée creuser là où il ne fallait pas. Et j’ai trouvé des choses qui ont fonctionné, dans l’idée du GRAV. Il y a des actions qui ont fonctionné. Oui, il y a eu beaucoup d’échecs, mais il y a eu des actions qui ont fonctionné. Et c’est ça qu’il faut prendre en considération. Il faut prendre en considération toutes les compétences, les capacités de chacun et y mettre du sien. On est tous différents, on ne peut pas s’entendre avec tout le monde. Si tout le monde fait des efforts alors on peut arriver à trouver de nouvelles stratégies. En tout cas le directeur de la galerie Denise René, il ne peut pas tout faire tout seul, il a besoin d’aide. L’idée de la fondation, c’est aussi lui enlever un poids sur les épaules, peut-être un peu de pouvoir aussi, mais c’est pour protéger l’entité, la mettre en valeur, dans une valeur de prestige. Et c’est surtout activer d’autres actions en dessous, avec chacune un rôle à jouer. Les artistes ont un rôle à jouer, ils n’ont pas le temps de s’occuper de la communication, de la vente, de l’exposition à tel endroit, non ! Ils veulent créer dans leurs bulles tranquillement, ils veulent mettre en application toutes leurs idées. Ils leur faut des moyens financiers, un espace de qualité. Tout ça, c’est hyper important !
© Estelle Bellin 2024