« Atomes mêlés,
brasier de baisers, enveloppant total,
extase de ta seule existence, je dors avec toi, baignant dans ta lumière,
notre petite chambre se rapproche des conditions du soleil.
Indicateur de la ligne du ciel. »
Jean Pierre Luminet
L’étoile noire se transforme. C’est l’envolée brutale. Elle est libre, d’esprit de pensée et d’action. Plaisir vif et délicat, jouissance pleinement goûtée. Tu respires avec délice le parfum de ton âme. La justesse de ton équilibre nous entraîne dans la volupté des bords de ta douleur. Tu es délicieuse, délicate, d’une douceur exquise. Ton mouvement nous encercle pour embrasser nos cœurs. Vers un désir d’approfondir la matière musicale, c’est là où la magie opère. Privilégiant la tension de la dissonance au profit de la pureté de la consonance.
En peinture ou en sculpture, l’allégorie permet de représenter une idée abstraite en employant une image concrète et des procédés narratifs et descriptifs, c’est-à-dire en utilisant une histoire pour exprimer cette idée. Narration mettant en œuvre des éléments concrets, chaque élément correspondant à un contenu abstrait. L’œuvre (peinture, sculpture, film, musique …) enferme un ensemble dont chaque élément évoque un aspect d’une idée complexe. Par exemple la machine à dessiner interactive de Tinguely :
«Tinguely dit pratiquer alors, « la peinture abstraite d’une manière désespérée », avant d’en finir, quelques années plus tard, une fois pour toutes avec la peinture et l’abstraction en créant ses Méta-matics, machines à dessiner automatiques, animées par un moteur à explosion. En 1955, Jean Tinguely réalise trois machines pour produire de manière mécanique des dessins. L’artiste nous propose un dessin en devenir, le spectateur complète l’œuvre, alors qu’il était passif face à l’art, il devient acteur de la création, actionnant un système de balancement, un bouton, un bras articulé.» On appelle cela, l’art cinétique. Jean Tinguely possédait le don d’attirer l’attention et d’établir ainsi une communication avec ses mécanismes détournés de leur sens et de leur finalité. Inconsciemment, l’artiste nous place devant un principe de la sémiologie de la musique. La définition de la sémiologie « repose sur une approche structuraliste dont le principe d’immanence est l’analyse d’un message en lui-même et non depuis l’émetteur ou le récepteur. Ces éléments peuvent intervenir entre eux lorsque l’analyse du système est finie. » C’est la même chose que la contemplation d’une œuvre d’art, car elle est un transmetteur d’énergie. L’artiste matérialise et emprisonne la matière comme les notes de musique ou de couleurs, ce qui positionne le spectateur face à un rayonnement d’énergie d’une force vitale, inspirante, qui ouvre le lien entre la cause et les effets.
Alors comment le « faire » musique, et ainsi l’édifier en une œuvre musicale ?
Étude sur le compositeur Gérard Grisey et l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet sur le noir de l’étoile et la musique d’un pulsar : « Initier une musique « spectrale », qui a pour base les caractéristiques mêmes du son. Le spectre, et ses harmoniques naturelles, diffractées, contractées, dilatées, travaillées parfois à l’extrême. Opérer sans cesse des allers-retours entre deux états. Au départ, il y a « l’harmonicité ». Un état stable, souvent allié à des nuances douces, à des modes de jeu simples et à des rythmes réguliers, qui s’apparente en fait à une certaine idée de la consonance. Puis progressivement, dans un processus calculé et réglé par les lois de la physique, le compositeur s’échappe de cette douceur relative, aboutissant ainsi progressivement à « l’inharmonicité », utilisant des spectres déformés, des modes de jeux tendus, des sons brisés, écrasés ou arrachés. Comme un négatif du spectre entendu au début de l’œuvre. Pratiquement chaque composition, dans une forme de lent développement, un rituel de la couleur et de la lumière. Le spectre va d’abord résonner au travers de tous les instruments, dans une sidérante irisation, pour progressivement muter, se désagréger, et se reconstruire à la fin de l’œuvre. L’artiste intègre, digère, réinvestit et réinvente. »
A découvrir et à regarder une vidéo sur «le noir étoile» de Gérard Grisey :
Qu’est-ce que le son pulsar, son rythme de rotation, sa structure musicale ?
«Lorsqu’en 1985, je rencontrai à Berkeley l’astronome et cosmologiste Jo Silk, il me fit découvrir les sons des pulsars. Je fus séduit par ceux du pulsar de Véla et immédiatement, je me demandai à la manière de Picasso ramassant une vieille selle de bicyclette : Que pourrais-je bien en faire ? La réponse vint lentement : les intégrer dans une oeuvre musicale sans les manipuler, les laisser exister simplement comme des points de repère au sein d’une musique qui en serait en quelque sorte l’écrin ou la scène, enfin utiliser leurs fréquences comme tempi et développer les idées de rotation, de périodicité, de ralentissement, d’accélération et de « glitches » que l’étude des pulsars suggère aux astronomes. La percussion s’imposait parce que comme les pulsars, elle est primordiale et implacable, et comme eux cerne et mesure le temps, non sans austérité. Enfin, je décidai de réduire l’instrumentarium aux peaux et métaux à l’exclusion des claviers. Lorsque la musique parvient à conjurer le temps, elle se trouve investie d’un véritable pouvoir chamanique, celui de nous relier aux forces qui nous entourent. Dans les civilisations passées, les rites lunaires ou solaires avaient une fonction de conjuration. Grâce à eux, les saisons pouvaient revenir et le soleil se lever chaque jour. Qu’en est-il de nos pulsars ? Pourquoi les faire venir ici, aujourd’hui à l’heure où leurs passages dans le ciel boréal les rendent accessibles ? Bien sûr, nous savons ou croyons savoir qu’avec ou sans nous, 0359-54 et le pulsar de Véla continueront leurs rondes interminables et, indifférent, balayeront les espaces intersidéraux de leurs faisceaux d’ondes électromagnétiques. Mais n’est-ce pas en les piégeant dans un radiotélescope, puis en les intégrant dans un événement culturel et sophistiqué – le concert – qu’ils nous renvoient alors plus que leurs propres chants ? » Gérard Grisey
« En effet, le moment du passage d’un pulsar dans le ciel nous astreint à une date précise et en rivant le concert sur cette horloge lointaine, il devient un événement in situ, plus exactement in tempore donc relié aux rythmes cosmiques. Ainsi, les pulsars détermineront non seulement les différents tempi ou pulsations du Noir de l’Étoile, mais également la date et l’heure précise de son exécution. Musique avec pulsar obligé ! » Gérard Grisey
« Que l’on n’en déduise pas cependant que je suis un adepte de la musique des Sphères ! Il n’est d’autre Musique des Sphères que la Musique Intérieure. Celle-là seule pulse encore plus violemment que nos pulsars et oblige de temps à autre un compositeur à rester à l’écoute.
Et je soulignerai en outre : L’aspect inouï et irremplaçable de l’arrivée en direct dans le lieu du concert de ces impassibles horloges cosmiques qui ont franchi plusieurs années lumières… Leur confrontation inattendue à une musique qui non seulement prépare leur « entrée » sur une scène musicale et théâtrale mais dont toute l’organisation temporelle provient de leur vitesse de rotation… Leur intégration à une musique spatialisée par la position des six percussionnistes et des haut-parleurs autour des spectateurs… La mise en scène et la mise en lumière de ces étoiles éteintes au moyen de projections et d’éclairages appropriés… Le caractère à la fois musical, visuel, théâtral mais aussi festif et didactique d’un événement émouvant et exceptionnel. » Gérard Grisey
Quand l’étoile devient pulsar ?
Les étoiles à neutrons correspondent au cœur dense subsistant après l’explosion d’une étoile massive, lorsque les couches superficielles ont été éjectées. Devenu plus petit, le noyau se met à tourner très vite, telle une patineuse qui voit sa vitesse de rotation augmenter lorsqu’elle ramène ses bras vers son corps. Dès lors, il émet des rayons radio et X, prenant le nom de pulsar.
Un pulsar est une étoile à neutrons en rotation rapide sur elle-même et émettant des ondes radio. C’est ce qui reste d’une étoile supermassive après son explosion en hypernova en supernova, ou en nova. C’est une source de rayonnement électromagnétique, se manifestant par des émissions brèves à intervalles réguliers. Les pulsars font partie d’une catégorie d’astres étonnante, les étoiles dites «à neutrons» car elles sont composées uniquement de ce type de particules subatomiques. Elles n’ont pas d’horizon – cette surface délimitant la matière et la lumière qui, soumises à l’attraction gravitationnelle de l’astre, seront englouties.
Oeuvre de Laurent Bolognini qui démontre un théorème de l’attraction gravitationnelle.
Comment fonctionne un pulsar ?
Un pulsar fait partie de la famille des étoiles à neutrons, d’une catégorie d’astres étonnante. C’est un objet céleste bien particulier : au lieu de briller de façon continue comme une banale planète ou étoile, il envoie périodiquement de très brèves impulsions de rayonnement dans l’espace. En général, un pulsar émet sa lumière de façon régulière.
Comment se forme un pulsar ?
Une étoile à neutrons, et donc un pulsar, se forme lors d’une supernova, phase finale spectaculaire de la vie d’une étoile dont la masse initiale est au moins 8 fois celle du Soleil.
Une toupie qui peut former un couple avec une autre étoile :
Parmi l’étonnante diversité des étoiles à neutrons, certaines, les pulsars millisecondes, sont des toupies en rotation frénétique – jusqu’à 1.000 tours par seconde. Très souvent, elles forment un couple avec une autre étoile. À cause de leur densité élevée et du fort champ gravitationnel qu’elles engendrent, celle-ci est «aspirée» et ralentie, tandis que le pulsar accélère son mouvement. D’autres sont des boussoles assagies : leur intense champ magnétique pompe une grande quantité de leur énergie, rayonnée sous forme d’ondes électromagnétiques, et les ralentit jusqu’à un tour toutes les 5 secondes. Ce sont des magnétars.
Qu’est-ce-qu’un magnétar ?
Le comportement de cet objet est véritablement atypique : il pivote dans l’espace et devient périodiquement, pendant 5% du temps environ, l’une des sources radio les plus brillantes du ciel. « Cet objet apparaissait et disparaissait en quelques heures au cours de nos observations. C’était complètement inattendu. C’était un peu effrayant pour un astronome, car il n’y a rien de connu dans le ciel qui agit de la sorte », relate dans un communiqué Natasha Hurley-Walker, astrophysicienne au Centre international de recherche en radioastronomie (ICRAR), qui a dirigé l’équipe à l’origine de la découverte.
La métamorphose de l’étoile noire est productive. Elle permet de penser, de regarder, l’interprétation musicale, la mise en scène de toutes ces danses lumineuses. Ma circonlocution pédagogique, mon humour, une méthodologie artistique … Finalement cette métaphore a une portée qui sert à découvrir, à modéliser mes idées mais elle n’a pas de vérité en tant que telle bien, évidemment. Je m’amuse, j’interprète tout et analyse à la loupe le langage des étoiles dans le ciel. Elles sont mouvantes. Je découpe en petits morceaux, j’articule et contourne la facette miroitante de l’esprit des étoiles en peinture lyrique. Ma sensibilité réussit l’effet de belles expériences …
© Estelle Bellin 2024